Véronique et Murielle témoignent
Après un cancer du sein, il faut se reconstruire psychologiquement mais aussi physiquement. Véronique et Murielle ont opté pour la reconstruction mammaire.
Elles racontent leur choix.
En France, 1 femme sur 8 est concernée par le cancer du sein. La reconstruction mammaire est souvent réalisée à l’issue des traitements même si la chirurgie immédiate après ablation est possible. Beaucoup de femmes choisissent de rester « amazones ».
Aujourd’hui, 1 femme sur 4 ayant subi une ablation du sein opte pour la reconstruction mammaire. Les coûts et les délais parfois très longs, ainsi que le manque d’informations sur les options de chirurgie réparatrice constituent les principaux freins.
Véronique Despioch et Murielle Sévenne, patientes expertes de l’Association Entre Ciel et Mer. Ayant chacune opté pour une reconstruction différente, leurs choix respectifs n’ont pas eu des conséquences identiques sur leurs parcours de vie.
Comment avez-vous accueilli l’annonce de cancer du sein et les solutions proposées ?
Véronique : « En 2013, mon gynécologue détecte la présence de 2 carcinomes dans la poitrine. Rapidement, un oncologue et un chirurgien décident du protocole pour mon cas spécifique. À partir de là, à la veille de mes 50 ans, mon combat va durer 10 ans. Mon protocole prévoit une ablation/reconstruction immédiate par lambeaux 9 mois après le diagnostic. Durant cette période, je n’ai pas été préparée à cette lourde pratique qui se déroule en 3 opérations sous anesthésie générale. Avant l’ablation, l’impact psychologique est déjà très fort. Dans l’ablation/reconstruction immédiate, il faut tout de même porter une prothèse externe pas seulement par esthétisme mais surtout pour équilibrer la poitrine et alléger les maux de dos. »
Murielle : « À l’annonce de mon cancer, mon oncologue m’a donné le choix entre subir une mastectomie ou la chimiothérapie, comme on dit : entre la peste et le choléra. Un dilemme terrible, les 2 étant pour moi aussi traumatisant l’un que l’autre. L’évolution de ma maladie et des soins a finalement nécessité entre autres, une double mastectomie. »
Quel est l’impact psychologique de l’ablation ?
Véronique : « La chimio m’a fait prendre 35 kilos. Je n’ai pas vu l’intérêt de me faire faire un sein dans la proportion d’un corps qui n’était plus le mien, que je ne reconnaissais pas et que je n’allais pas garder tel que jusqu’à la fin de ma vie. J’ai arrêté la reconstruction du sein à la 2e intervention en 2014, pendant laquelle une de mes cordes vocales a été abîmée au bloc. Cela m’a valu 2 ans de séances d’orthophonie et une autre biopsie. Dès le début, j’ai été suivie par un psychiatre qui m’accompagne encore. Sans traitement médicamenteux, j’ai eu besoin d’aide pour accepter de souffrir encore, réparer mon corps et m’imposer des règles de vie (Activités physiques adaptées, alimentation surveillée, sans sucre, alcool ni cigarette). Le plus terrible, quand on est malade avec des cellules cancéreuses c’est qu’en me réveillant, je me disais : « Ah c’est vrai j’ai le cancer, il faut se battre, lutter. » Quand les cellules disparaissent, c’est un autre combat qui commence : celui de la reconstruction. »
Murielle : « Le jour de l’ablation du sein droit, j’ai eu l’impression d’une amputation d’une partie de moi, de ne plus être une femme. À cet instant, j’ai su comme une évidence que je passerai par une reconstruction mammaire. Elle a eu lieu 2 ans plus tard. Après les soins de chimiothérapie, radiothérapie, une 2e mastectomie préventive et un temps pour permettre à la peau de se régénérer. Un parcours très long, mais nécessaire, au moins pour faire le deuil du sein qui a été amputé. Je me souviens d’une réflexion de mon fils qui avait 13 ans et m’a dit : « Maman, c’est comme si tu étais explosée contre le mur façon puzzle et qu’il fallait te reconstruire pièce par pièce ». Cette image représente bien l’impression de morcellement que j’ai ressentie à ce moment et la nécessaire reconstruction, pièce par pièce, pas seulement sur le plan physique. »
Comment gérer ce nouveau rapport au corps ?
Véronique. : « Depuis 2018, j’ai retrouvé mon poids de forme, mon âge métabolique est de 42 ans. Je n’ai pas besoin de refaire faire mon sein droit puisque sa taille est désormais égale à celle de mon sein gauche et adaptée aux proportions de mon corps. Durant les traitements j’ai appris, grâce aux socio-esthéticiennes, à prendre soin de moi. À la fin des traitements, les médecins vous disent : « Au revoir. Vous êtes en vie ! » Moi, j’étais mutilée, obèse et sans dents. La perte de mes dents a été un moment épouvantable pour moi. Pour accepter de porter une prothèse dentaire de 8 dents, j’ai mis 1 an à m’y adapter. Ce qui est difficile, c’est que personne ne veut faire le lien avec les traitements : « Tout le monde perd ses dents à 50 ans ! ». Célibataire à l’annonce du cancer, ma vie sexuelle est à l’arrêt depuis. J’ai une vie sociale très dense car je me fais un devoir d’incarner la joie de vivre et le « il y a une vie après » ! Tous les matins, maintenant, quand j’ouvre un œil, je me dis Merci la vie ! ».
Murielle : « Le rapport à mon corps a d’abord été chamboulé par mon propre regard. J’ai recouvert les miroirs de la salle de bain avec des serviettes pour ne pas me confronter à mon image. Alors comment accepter les regards des autres, à commencer par celui de son mari, quand on n’a plus l’impression d’être femme. Ma vie de couple a été profondément bouleversée. Vivre avec ce nouveau corps amputé était également perturbant socialement. Le tsunami du cancer a provoqué en moi un état de sidération avec une impression de dissociation entre mon corps, qui m’avait trahi, en qui je n’avais plus confiance et que je remettais entre les mains du corps médical, et mon esprit qui entendait mes proches me dire « tu es une guerrière, tu vas gagner le combat, courage, garde le moral et bas-toi ! » Pourquoi fallait-il que je me batte ? J’avais l’impression d’être en perpétuel décalage avec le reste du monde. S’ajoutent l’angoisse de mourir, l’impossibilité de me projeter et l’impression que les autres ne comprenaient pas ce que je ressentais. Je me suis repliée sur moi-même. C’est dans cet état d’esprit que j’ai dû me poser la question de la reconstruction mammaire. L’évidence de cette chirurgie réparatrice était toujours présente. Depuis l’amputation, lorsque je mettais ma prothèse dans mes soutiens-gorge et maillots de bain adaptés (très chers à l’achat), j’avais l’impression que l’on ne voyait que ça. J’étais très mal à l’aise. Juste après ma chirurgie réparatrice, j’étais déçue, je l’ai trouvé moche, alors que mes médecins acclamaient le joli travail du chirurgien. Le temps du deuil de mon sein avait pourtant fait son œuvre. Il m’a fallu un moment pour l’accepter et le ressentir comme une partie de moi. »
Qu’est-ce qui motive le choix d’opter pour une reconstruction ou non ?
Véronique : « Tout ce que nos corps et nos esprits ont enduré (perte de cheveux, mémoire…) est oublié, par nous-mêmes et par les autres, mais surtout non reconnu par la société. Nous devons gérer nos séquelles et vivre avec. Le pire, c’est d’entendre : « Le cancer du sein, ce n’est pas grave, on en guérit aujourd’hui ! » Le protocole doit pouvoir être réévalué et accepté par la patiente à chaque étape du traitement et non au début une fois pour toutes. Elle doit avoir le choix, le droit de décider, comme pour l’utilisation de ses données. Nous sommes des humains, pas des numéros de dossiers. Les protocoles doivent pouvoir être rediscutés, pas être suivis à tout prix au détriment du bien-être des patientes. Savourons le moment présent, surtout s’il est sans douleur, sans peur de mourir. Il est si fragile, on vient de le vivre ensemble avec le confinement : tout peut s’arrêter du jour au lendemain. On n’est pas « neuve », ni de corps, ni d’esprit, mais on a brillamment triomphé. Mon psy me rappelle souvent ces étapes, que mon cerveau a effacées, et m’incite à être fière de moi. Tendre vers une harmonie, un équilibre du corps et de l’esprit est ce qui m’occupe en ce moment. Cette année, j’ai d’ailleurs choisi de suivre une formation de Designer UX, conceptrice d’expérience et je m’y plais beaucoup ! »
Murielle : « Il y a sans doute eu d’abord l’hésitation liée à mon angoisse de retourner à l’hôpital et reconfier mon corps (voire ma vie) au monde médical, avec la peur de la douleur et de reperdre le contrôle à peine retrouvé sur mon corps. La dimension financière est aussi un frein important. Les chirurgiens en secteur public effectuent en priorité les gestes chirurgicaux thérapeutiques : mastectomies et tumorectomies. Donc, les chirurgies de réparation sont secondaires et, selon les établissements et régions, les délais peuvent être longs ! Pour ma part, les 2 mastectomies nécessitaient 7 interventions chirurgicales avec un délai moyen annoncé de 18 mois entre chaque opération dans le secteur public… Je me suis alors tournée vers le secteur privé, avec un délai plus court mais un dépassement d’honoraires important, malgré la prise en charge à 100 % par la sécurité sociale en ALD. Le manque d’accès à l’information était mon 3e obstacle. Chaque technique a ses inconvénients, chaque patiente a un vécu différent, elle peut avoir une préférence pour une technique mais une morphologie particulière qui ne la favorise pas. Chaque chirurgien consulté explique la technique qu’il propose. Je pense que se donner le choix et ne pas subir suppose donc parfois d’en consulter plusieurs, ce qui alourdit encore le parcours.